Le Rossignol éperdu, poèmes (1899-1910)

Carnet de voyage (Série n°III, Poèmes n°37à n°45)

 

Poème n°37 : L'ange Verrier (1910, Cathédrale de Bourges, Vitraux)

" Une des plus belles pages du "Rossignol éperdu", c'est en ces termes que Magda Tagliaferro m'a parlé de ce poème.
Ces six pages au lumineux scintillement impressionniste sont construites sur un thème principal qui alterne avec trois idées secondaires dans l'esprit d'un rondo.
A- Ce premier thème "balancé, cristallin" présente deux éléments mélodiques distincts sur un accompagnement en arpèges brisés descendants
 a1- arpèges ascendants
 a2- formule de broderies
     

        

B- Ce motif secondaire sur pédale de dominante reprend une formule de broderies en doubles- notes issue de a2.
C- Ce thème superpose trois plans: 
-soprano en valeurs longues 
-contre-chant en doubles croches 
-accompagnement en arpèges
On retrouve cette même disposition dans la quatrième barcarolle opus 44 de Fauré (p.4)
    


D- Ce dernier motif est également issu de a2, il présente un mouvement continu de sixtes parallèles dans l'aigu du clavier.
Ces quatre éléments thématiques se développent dans un langage harmonique raffiné qui utilise les sonorités cristallines et scintillantes de l'aigu du piano.
L'usage des deux pédales enveloppe ces harmonies colorées d'un halo caractéristique du flou impressionniste.
A remarquer la cadence conclusive avec accord de sixte ajoutée. 

Poème n°38 : Le jardin de Pétrarque (Arqua Petrarca, 1899)

Court andantino de forme ABA.
A- La cellule mélodique génératrice de la pièce (tierce mineure descendante en La) est présentée d'abord sans harmonisation puis accompagnée par quelques accords clairs dans une calme rythmique à 6/8

  

    

Cette première section fait le trajet tonal La- fa dièse.
B- La partie centrale oppose à la verticalité de A une écriture canonique à l'archaïsme délicat; Reynaldo avait-il eu connaissance du "Menuet antique" de Maurice Ravel édité quatre ans auparavant? Les mesures 31 à 35 pourraient bien le faire penser

   

A- La reprise de la première section n'apporte pas de modification, elle est simplement écourtée et reste dans le ton principal

Poème n°39 : La Nativité (Crèche de Nüremberg - 1910)

Cette pièce, composée spécialement pour le " Figaro illustré " dont Reynaldo sera le critique musical à partir de I933) parut pour la première fois en tant que supplément au numéro de Noël 1910. 
Le 21 décembre 1912 "Le Ménestrel" l'offrit à son tour aux lecteurs, présenté par la note suivante:
"Ce Rossignol éperdu de Reynaldo Hahn est une mine inépuisable. Nous profitons des fêtes de Noël pour en extraire quelques pages d'une musicalité si délicate: La Nativité. Elles font partie de la série intitulée " Carnet de Voyage". Partout où il s'arrête le musicien-voyageur note en musique ses impressions; c'est sa façon de penser. De là cette petite pièce si pleine de foi et d'onction, conçue devant une crèche de Nüremberg."
Ce poème renoue avec l'esthétique du pastiche qui a dicté tant d'œuvres charmantes au Reynaldo des années 90.

Cette pièce fait alterner deux éléments mélodiques nettement différenciés selon le schéma ABAB.  
A- Un calme motif de choral est exposé dans des carrures classiques de quatre mesures et une harmonisation claire teintée d'une modalité nostalgique (mi sans sensible c'est à dire mi mode de la)

   

  

Une transition de quatre mesures introduit le rythme dactylique caractéristique de B.
B
- Au choral de A, B oppose une polyphonie délicate dans une écriture à quatre voix (dans le ton du relatif: Sol mode de la) qui utilise les procédés habituels de la musique baroque: imitations, contrepoint renversable, marches, pédales, etc...

B.
B
- Au choral de A, B oppose une polyphonie délicate dans une écriture à quatre voix (dans le ton du relatif: Sol mode de la) qui utilise les procédés habituels de la musique baroque: imitations, contrepoint renversable, marches, pédales, etc...

        

Par souci d'authenticité Reynaldo conclut sa pièce sur l'accord de tonique avec tierce picarde.

Poème n°40: Faunesse dansante (Le Rosso-Palais de Fontainebleau)

        

Courte forme ABA essentiellement décorative
A- la ligne mélodique, très ornée et d'une grande souplesse rythmique, se déploie dans un ambitus très large et brode les notes essentielles du ton (tonique et dominante en Ré bémol). Cette arabesque est soutenue par des accords simples sur double pédale de tonique et dominante.
B- la partie centrale présente un caractère rythmique plus affirmé et oppose à l'harmonie stable de A une succession de modulations intéressantes.
A- il faut remarquer dans ce poème la perfection de la structure symétrique en effet la seconde section de A est reprise avant la première, conférant à la pièce le schéma suivant: A1 - A2 - B - A2 - A1 
Une coda de dix mesures, sur pédale de dominante, est basée sur des formules de broderies de la tonique et de la dominante. 

Les trois pièces suivantes évoquent Paris: d'abord les Tuileries avec " Soleil d'automne " puis la Seine avec " Effet de nuit sur la Seine " enfin une flânante " Matinée parisienne ".  

 

Poème n°41: Les noces du Duc de Joyeuse (Musée de Versailles, automne 1910)

" Dans les Noces du Duc de Joyeuse nous retrouvons le charme particulier à la musique de Reynaldo Hahn et l'élégance de forme dont il sait la revêtir. Tour à tour rêveur, alerte ou tendre, cette pièce fait songer à une dame de Véronèse ou du Titien, à la fois exquise et majestueuse dans sa robe de brocart, et qui sourirait vers quelque lagune mystérieuse... "
C'est ainsi qu'Henri Heugel présentait ce délicat pastiche aux lecteurs du " Ménestrel " du 23 novembre 1913.  
Cette danse de forme ABA emploie des formules mélodiques simples, une rythmique carrée et une harmonie rudimentaire teintée parfois de modalité.
A- Dans des carrures de sept mesures cette première section en Ré expose un thème en deux parties: antécédent + conséquent. L'antécédent est placé sur double-pédale de tonique et de dominante formant bourdon
    

       
Le conséquents dans une stricte écriture à 3 voix, présente une ligne mélodique à l'ornementation clavecinistitique.
Le thème est repris sur double-pédale arpégée sur plus de deux octaves (à noter l'emprunt au mode de la finale Ré).
B- Cette partie centrale moins développée que A propose un thème en périodes de trois mesures accompagné par des quintes consécutives.
Tout comme dans A 1e thème est repris sur un accompagnement d'arpèges.
A- La reprise est écourtée.

 

 

Poème n°42: Le petit mail (Orléans, 1908)

Dans son journal Reynaldo parle du séjour qu'il fit à Orléans en 1908; il visite l'Hôtel de Ville et demande au concierge: "Qui est le conservateur?- C'est moi qui essuie, monsieur." (1) Ce mot qu'il rapporte est un exemple de l'humour dont il était si friand. Il écrit plus loin: " Je vais à la recherche de la maison habitée dans sa jeunesse par Calvin, je ne la trouve pas. Mais je trouve une sorte de petit mail pauvre et nu où il me semble voir passer la fine et grave silhouette de cet étudiant à l'œil de feu aux joues tirées." (2)
Ce poème est sous-titré " Rêveries de Calvin adolescent ". Une page de polyphonie à quatre voix dans une mesure à 5/8. 
L' écriture est raffinée, les modulations sont expressives; il faut remarquer dans la coda la partie de ténor qui énonce le thème en augmentation et l'étrange cadence si peu conclusive

        

    

Poème n°43 : Les pages d'Élisabeth (Temple Gardens)

  

Dans la série des pastiches cette pièce est loin d'être la plus réussie: l'inspiration mélodique manque d'originalité et la monotonie des reprises (par souci d'authenticité peut-être) n'est pas toujours évitée.
Deux éléments thématiques alternent suivant le schéma ABABA.
A- Le caractère chorégraphique de la pièce est d'emblée installé par un thème à la rythmique fortement marquée; ce thème de grand ambitus mélodique est découpé en deux sections de huit mesures (antécédent + conséquent) qui sont ensuite prétexte à une variation ornementale assez banale.
B- Dans les mêmes carrures que A, B propose un thème d'ambitus très restreint accompagné par des accords staccato qui évoquent des pizzicati de cordes; toute cette pièce est caractérisée par une écriture harmonique très statique (Reynaldo soutient la gageure d'écrire six pages en Do d'un bout à l'autre - à part une brève modulation au ton de la dominante-)
Les reprises de ces deux sections n'apportent de modifications qu'au niveau de l'écriture pianistique; l'amplification des thèmes donne à la fin de la pièce un caractère pompeux et emphatique qui n'est pas du meilleur goût.

Poème n°44 : La Jeunesse et l'Été ornent de fleurs le tombeau de Pergolèse

La richesse et la simplicité de l'inspiration mélodique qui caractérise cette gracieuse allégorie évoque 1e style du Maître italien.
Ces deux pages ne comptent pas moins de cinq éléments thématiques qui se déploient dans l'inhabituelle mesure à 5/4.
A-B-C- Ces trois premières sections suivent la même structure: le thème est d'abord exposé sans harmonisation (cf. Poèmes n°1, n°21, n°38 et n°53) puis intégré à une polyphonie à quatre voix. C module au ton du relatif (la).
D- Un motif "doux et calme", sur pédale de tonique, est accompagné par des sixtes parallèles.
E- Ce dernier thème est caractérisé par une écriture canonique (cf. le poème n°38 ) qui provoque des frottements expressifs
  

  

A- Ce motif initial est repris, il conclut cette élégie nostalgique.

Poème n°45 : Vieux bahuts (Musée d'Orléans)


  

Ce poème que Reynaldo rapporta, tout comme le précédent, d'Orléans est loin d'être une réussite; l'écriture est alambiquée, les modulations tarabiscotées et l' inspiration mélodique vraiment pauvre.
Que vient faire ce laborieux et ennuyeux devoir de contrepoint dans l'œuvre de Reynaldo ?

 


(1)Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.257

(2) Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.258

 

Loading
 

 Analyse d'audience

Creative Commons License
This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License