Le Rossignol éperdu, poèmes (1899-1910)

Série I (Poèmes n°1 à n°30)

Poème n°1 : Frontispice

L'exergue de cette pièce introductive donne le ton du recueil: "Penche un peu ton oreille à cet oiseau qui pleure: c'est moi !" (Marceline Desbordes-Valmore); de plus il éclaire sur la signification du titre: ce Rossignol éperdu n'est autre que Reynaldo qui confie d'autre part dans une lettre à Coco de Madrazo "que ce recueil est presque entièrement écrit avec des larmes rentrées". (1) 

Deux pages mélancoliques dans le style d'un récitatif en FA #, ton que Reynaldo réutilisera plusieurs fois dans le cours du recueil (cf. poèmes n°13. 24, 26, 30 et 33).
La structure est celle d'un Lied de forme libre. 

A- présente une longue phrase à la rythmique souple, d'abord à découvert puis soutenu par de riches accords (à remarquer, mes.5 un accord de treizième appoggiaturé) 

     
B- dans le ton de la dominante (DO #) offre un thème de carrures plus régulières tournant autour du pivot de la tonique sur un accompagnement "expressif et tendre" qui superpose des sixtes parallèles à une pédale de tonique.
A- Le thème initial est donné en doublures sur trois octaves. 

Une longue coda réunit les deux éléments thématiques (à, remarquer la juxtaposition, sur pédale de dominante, des accords de septième de dominante en FA# et DO# - onzième tonique: do# sol#, si# ré# fat#).

Poème n°2 : Andromède résignée (1902)

La spontanéité mélodique de ce Lied solidement structuré renoue avec le charme sans problème des œuvres de jeunesse.
A- Le thème, dans des carrures classiques de quatre mesures et sur pédale de dominante, présente un antécédent à la courbe mélodique basée sur des intervalles expressifs (septième, sixte) et un conséquent à la rythmique balancée de barcarolle  

          

  

Après un développement de ces deux éléments et une transition qui oppose un rythme binaire au ternaire ambiant, le thème est repris par la basse.
Un développement délicatement modulant sur le conséquent introduit la formule d'accompagnement en arpèges brisés qui sera celle de B.
B- Un motif descendant passionné et plaintif suggère le sort de la pauvre Andromède liée sur son rocher aux prises avec Poséidon. 

   
  

Une transition superpose le rythme iambique de B au motif de barcarolle caractéristique de A.

A
- Le thème est d'abord repris par la basse; cette réexposition n'apporte pas de modification.
Une coda sous forme de marche achève ce simple feuillet d'album à l'harmonie transparente. 

Poème n°3 : Douloureuse rêverie dans un bois de sapins (Varangeville, 1905)

Cette pièce largement développée (sept pages) porte en épigraphe une phrase de Molière:
                "Pour qui ? Pour une ingrate..."
qui confirme son caractère autobiographique. 

Cette vaste improvisation bâtie sur trois idées thématiques nettement différenciées se développe dans une atmosphère typiquement impressionniste qui rappelle plusieurs des pièces de la suite "La maison dans les dunes" de Gabriel Dupont (en particulier "Le soir dans les pins").
La première section qui, sur une oscillation tranquille de l'arpège de DO dièse rappelant une mélodie de jeunesse ("Paysage"  dans le premier recueil), installe un thème "doux et profond" à la rythmique souple (duolets, syncopes) et aux harmonies douloureuses (septièmes diminuées, accords altérés)

   

  

Le second thème, dans un calme mouvement de tierces (registre aigu du clavier), oppose aux sombres échos de la première page un paysage lumineux mélancoliquement superposé au tintement d'une cloche lointaine (Cf. "Cloches à travers les feuilles" dans la deuxième série des "Images" de Debussy: "Murmure des branches à peine balancées, bercement doux du silence, ombre verte et repos que pénètrent, sans les troubler, des vibrations lointaines, comme suspendues et prolongées par l'enveloppement des pédales." (2)
Le troisième motif mélodique a la particularité d'être noté dans une mesure à I6/8 avec la disposition suivante:                   

 

Ces trois thèmes sont l'objet de nombreux développements modulants qui, par des changements de tempi et de nuances, donnent à ce poème les aspects fantasques de la rêverie.

 

Poème n°4 : Le bouquet de pensées

Ce bouquet Reynaldo le rapporte du jardin botanique de Hambourg, ville natale de son père.
La main droite dessine une arabesque volubile à la rythmique souple; l'accompagnement de la main gauche passe complètement au second plan et n'a qu'un rôle d'harmonisation du soprano.  

  

On peut rappeler à ce propos (et pour montrer que l'esthétique de Reynaldo est avant tout celle d'un mélodiste cette phrase tirée du Journal: "Le rôle de la musique dans une mélodie ne devrait pas excéder celui de la rampe devant une pièce de théâtre." (3)

Poème n°5 : Soleil d'automne

Ce poème porte en exergue ces mots de Madame de Sévigné:
                " Ces beaux jours de cristal... "  
Trois courtes pages dans l'esprit d'un rondo très libre.
A- Le refrain expose une ample mélodie peu modulante à la rythmique souple (juxtaposition binaire/ternaire) sur un accompagnement d'arpèges ascendants
      

     

B- Le premier couplet présente un thème statique en accords sur un accompagnement calme et balancé (à 9/8) formant pédale.
A- Bref rappel de la tête du thème en quatre mesures en Do.
C- Une mélodie très modulante et expressive est confiée au registre de ténor sur accompagnements en sixtes parallèles à la main droite.
A- Dans ce dernier refrain des accords remplacent l'accompagnement d'arpèges; le thème s'éloigne peu à peu, dans les dernières mesures il est pris en augmentation progressive.

Poème n°6 : Gretchen (Munich 1906) 

  

Il n'est pas grand chose à dire sur cette pièce à l'agitation quelque peu vaine et à l'intérêt mélodique limité.
Elle fait alterner deux éléments:  
A est un ostinato en accords brisés dans un rythme continu de quintolets de doubles croches; le chromatisme et les modulations, pourtant nombreuses, n'arrivent pas à animer ce motif d'un souffle vraiment convaincant.
B est la partie mélodique de la pièce, elle présente un thème en accords sur un accompagnement "calme" (contrastant avec l'indication "agité" du début) mais, malheureusement, assez conventionnel et inexpressif.

 

Poème n°7 : Les Deux Echarpes (1903) 

Ce court thème varié porte en exergue deux vers de Verlaine:

"Baiser, rose trémière..."
"Sans même savoir qu'elles sont pardonnées..."

Le thème "heureux, égal, cadencé" est en quartes parallèles dans une rythmique immuable de trochée; la main gauche dessine une courbe descendante divisée en groupes irréguliers

    

     

La première variation conservant la basse du thème tout en déplaçant ses appuis. 
La seconde variation fiat moduler le thème, présenté en accords, sur un accompagnement d'arpèges "très calmes" qui oppose des tonalités éloignées.
La  troisième variation ne fait qu'amplifier la seconde section du thème en conservant la basse initiale.
Une coda fait dialoguer les deux mains sur le motif rythmique générateur de la pièce; celle-ci s'achève sur un accord de septième majeure.

N.B. : Cette pièce a paru dans le Figaro Littéraire du 19 février 1910.

 


Poème n°8 : Liebe ! Liebe (26 Septembre 1904)

                "Toi qui, comme un coup de couteau. dans mon cœur plaintif es entrée... " (Baudelaire)

Ce fiévreux poème est une description des tourments de l'amour qui sont évoqués à maintes reprises dans le journal de Reynaldo; il écrit : "Le plaisir que donne l'amour ne vaut vraiment pas le bonheur qu'il détruit." (4) et parle plus loin de  "l'invasion brusque et terrible de l'amour !" (5)
Le thème générateur de ces dix-neuf mesures, " accentué et vibrant" dans une rythmique obsédante d'anapeste, est accompagné par un motif haletant entièrement syncopé

   

     

Après une accélération de l'agogique et un arrêt brutal, la coda "agité et intense" est basée sur la répétition angoissante d'une note syncopée superposée à une basse chromatique.

Poème n°9 : Eros caché dans les bois

Cette forme ABA n'offre pas un grand intérêt, tant au point de vue mélodique qu'au point de vue harmonique. 

  

A- présente un thème d'ambitus restreint à la rythmique figée sur un accompagnement d'arpèges conventionnels.
B- offre plus d'originalité avec son accompagnement superposant une pédale de tonique et un mouvement chromatique continu en sixtes parallèles.
A- est repris sans modification.

Poème n°10 :  La fausse indifférence (1906)

Cette simple mélodie accompagnée de forme ABA est d'un charme sans prétention. D'après Bernard Gavoty, "la basse en sixtes piquées, au-dessous de la mélodie qui marque un désir un peu trouble, semble évoquer un passant jouant la désinvolture et tapotant d'une badine le bas de son pantalon." (6)

   

  
La partie centrale, plus expressive et, douloureuse, est basée sur des accords appoggiaturés.

Poème n°11 :  Chanson de midi

     

Un court allegretto de forme lied sans grande originalité. Il faut remarquer dans le premier thème la juxtaposition des rythmiques binaire et ternaire si chère à Reynaldo, et dans le second thème la présence de formules rythmiques capricieuses déjà rencontrées dans le quinzième poème.

Poème n°12 : Antiochus 

Cette pièce athématique, composée le 23 novembre 1904, est basée sur un ostinato rythmique de iambe et une double-pédale de tonique et dominante 

      

  

qui sont à la base de recherches de coloris harmoniques.
Cette pièce joue également sur des oppositions de nuances et de registres. L'écriture volontairement complexe refuse les procédés d'enharmonie qui rendraient plus claire la lecture de certains enchaînements.
La richesse des accords (septièmes diminuées, accords altérés ou appoggiaturés) aux enchaînements souvent chromatiques est renforcée par l'omniprésence de la double-pédale.

Poème n°13 : Never more (15 Mai 1906)

Cet aveu douloureux inspira à Reynaldo quatorze mesures basées sur une cellule rythmique immuable jouée par la main droite et que vient contrecarrer la main gauche qui divise la mesure à 6/8 en une mesure à 3/4:

  

       

Cet antagonisme entre les deux mains symbolise peut-être celui qui fit dire à Reynaldo "Jamais plus".
Ce poème en Fa dièse superpose à ces formules rythmiques une mélodie obsédante par son chromatisme exacerbé et son ambitus très restreint (tierce).
La pièce s'achève par une disparition progressive des différents éléments; à la fin seul le do dièse, dominante du ton, est entendu.

Poème n°14 : Portrait (1906)

                "Des jeux d'optique prestigieux, un tourment délicieux des yeux..." (Verlaine)

Ce poème au titre énigmatique (et que 11 épigraphe rend plus énigmatique encore) est dans sa simplicité une des plus grandes réussites du "Rossignol éperdu".
Que dire de ces douze mesures à la pureté aphoristique? Une ample mélodie en fa dièse naît, se déroule et meurt, soutenue par quelques accords qui mettent en relief son caractère suprêmement expressif

  

   

L'écriture volontairement dépouillée (à quatre parties, comme dans la réalisation d'un texte d'harmonie) accentue la sensualité des harmonies qui exhalent, sans entraves, un arôme envoûtant.
La section centrale développe sous forme de marche le rythme dactylique du thème et sa formule d'appoggiatures; les quatre dernières mesures, reprennent la phrase initiale en l'harmonisant différemment.

Poème n°15 : L'Enfant au Perroquet (Mai 1906)

     

Court portrait en forme de Lied opposant deux éléments thématiques nettement différenciés.
A- présente un élément mélodique très orné à la rythmique capricieuse, sorte de récitatif soutenu par des accords.
B- tourmenté et chromatique est caractérisé par la superposition continuelle des rythmiques binaire et ternaire et par une écriture plutôt laborieuse.
A- Le retour de l'élément initial est suivi d'une coda qui, selon un procédé que nous retrouverons souvent dans ce recueil, juxtapose les deux idées thématiques.

Poème n°16 : Les Rêveries du Prince Eglantine (1907) 

"A quoi rêve ce Prince Églantine tout de satin vêtu avec ses longs cheveux bouclés et son tendre regard bleu ? A quelque chimère d'un conte de fée, à quelque Belle au bois dormant qu'il voudrait bien réveiller sans doute. Sa pensée flotte aérienne sous un ciel parfumé, imprécise parfois, au milieu des harmonies fluides de l'Éther. C'est bien un rêve de prince charmant, saisi au passage par Reynaldo Hahn." 
C'est ainsi qu'Henri Heugel présentait cette délicate pièce aux lecteurs du "Ménestrel" du 5 Janvier 1907.

L'atmosphère rêveuse que dégage cette petite forme ABA vient de l'écriture regroupée dans l'aigu du clavier et de la formule d'accompagnement en accords brisés, qui, d'un bout à l'autre de ces deux pages, fait entendre un fond sonore calme et berceur.

   

    

Les thèmes ont la candeur de chansons enfantines, l'harmonie est limpide et les modulations, habilement amenées par le mouvement régulier de la main gauche, évoquent les différentes nuances de la rêverie.
A remarquer le retour du premier thème en La pendant quatre mesures avant de retrouver le La bémol initial.

Poème n°17 : Ivresse (Paris I906- Versailles 1909)

                "Noie mon souffle de ton haleine! Que mes lèvres s'écrasent à baiser tes mains..."  (Flaubert)

     

Même concision et même dépouillement de l'écriture que dans le poème précédent mais, hélas, au service d'une inspiration moins heureuse.
Sur une pédale de la basse les deux parties intermédiaires cheminent à la sixte dans un mouvement chromatique douloureux (cf. section B du poème n°9).
La ligne torturée du soprano présente un rythme pointé convulsif qui évoque les tourments de l'ivresse.

Poème n°18 : L'arome suprême (de souvenir 1909) 

Ces vingt mesures d'une inspiration très originale portent en exergue une phrase de Crébillon fils:
                "...respirant mutuellement leur âme..."
A- Sur un très lent balancement d'arpèges en Sol bémol formant double-pédale de tonique et dominante s'installe une ligne mélodique dépressive et hésitante dont le caractère nostalgique est renforcé par des appoggiatures  

         

B- propose un thème à la rythmique iambique caractérisé par la répétition obsédante d'un motif d'ambitus restreint sur des harmonies au parfum ravélien. A remarquer la conclusion sur l'accord de dominante superposé à une double-appoggiature de l'accord de tonique que l'on attend, mais en vain 

       

Poème n°19 : Berceuse féroce (Réplique à une pièce de Couperin)

Cette pièce de Couperin figure dans le troisième livre de pièces de clavecin: "Le Dodo ou l'amour au berceau" (sic), deuxième morceau du quinzième ordre. En voici le thème principal:

 


Le titre de " Berceuse féroce" rappelle par son anachronisme, l'humour de Satie qu'entre parenthèse Reynaldo n'appréciait pas énormément (Satie avait écrit à Reynaldo "Au nom de la Rose-Croix, soyez maudit !" (7) et cela parce que Reynaldo avait refusé de lui trouver des souscripteurs pour "Upsud ou le fils des étoiles". Bernard Gavoty, dans son ouvrage cite cette opinion peu flatteuse que Reynaldo avait de Satie: "Ce personnage inoffensif, à demi fou fut promu chef d'école et consacré grand maître par quelques personnes naïves et affolées." (8) )
En plagiant Debussy on pourrait sous-titrer cette pièce "Quelques aspects de Dodo l'enfant do" (cf. dans les images inédites de 1894 "Quelques aspects de Nous n'irons plus au bois").
Décidément cette berceuse enfantine plaît beaucoup à Reynaldo, il l'avait en effet déjà utilisée en 1898 dans son recueil des "Premières Valses"; c'était le thème principal de la valse n°7 intitulée "Berceau".
Cette pièce comporte trois éléments thématiques qui s'organisent suivant le schéma ABCABCA. Le thème de la berceuse populaire correspond à la deuxième section, il est énoncé dans le registre de ténor, mélodie intérieure accompagnée par des accords brisés à contre-temps 


  

       

Il faut remarquer page 3 un motif de transition qui reprend sans aucune modification les mesures 5 et 6 de la quatorzième pièce du recueil:

                        Portrait :   

         
                         Berceuse féroce :  

     

Le caractère "féroce" de ce poème est dû essentiellement au langage harmonique: le thème enfantin est complètement transformé par une harmonisation et des modulations volontairement dures et peu propices à l'endormissement d'un bébé !

 

Poème n°20: Passante

                "Ses cheveux blonds étaient noués négligemment derrière sa tête; quelques-uns, échappés, flottaient sur son cou... Elle n'avait qu'une robe légère, avec une ceinture qui la relevait un peu." (Fénelon)

Une délicieuse esquisse fixant le souvenir d'une impression fugitive. La ligne mélodique aérienne à la rythmique capricieuse est soutenue par quelques sixtes.



Dans la section centrale de cet andantino des arpèges fusent joyeusement dans l'aigu du clavier. A remarquer la conclusion sur l'accord de tonique avec sixte ajoutée.

Poème n°2I : La Danse de l'Amour et de l'Ennui

Une pièce mélancolique en fa dièse composée de trois parties et d'une coda récapitulant les principaux motifs mélodiques.
La pièce débute par l'exposition d'une vaste phrase d'ambitus large, à découvert selon un procédé que la première pièce du recueil
"Frontispice" avait déjà utilisé et qui reviendra en particulier dans le Poème n°53.

 

     

Ce long thème est ensuite harmonisé: l'antécédent dans une formule de danse lente, le conséquent sous forme de récitatif (cf. également n°1)
La deuxième partie du morceau, plus modulante et langoureuse, suivra la même construction que la précédente.
La troisième section est caractérisée par une rythmique pointée, elle est placée sur pédale.

Poème n°22 : Ouranos (1908)

                "Son âme s'élançait dans l'infini et contemplait, détachée de ses sens, l'ordre de l'univers."
Cette phrase de Voltaire sert d'exergue à cette évocation du ciel nocturne (fils de Gaïa dans la mythologie grecque).
Dix-huit mesures d'une rêverie tourmentée et mystérieuse suggérée par un thème chromatique constellé de retards et d'appoggiatures

  

       

Une coda sur pédale superpose à un fond sonore chromatique et trouble un tintement de cloche lointaine et irréelle qui s'estompe peu à peu, laissant résonner l'accord de tonique enrichi de deux appoggiatures qui ne seront pas résolues.

Poème n°23 : Les héliotropes du Clos-André (Maisons-Laffitte - 1910)

Une délicate polyphonie à quatre voix caractérise cette courte forme ABA.
A- Une mélodie simple et conjointe se déroule dans 1a calme mesure à 6/8, soutenue par des accords en valeurs longues
     

     
B- La section centrale à 1'équilibre ternaire oppose une polyphonie dense au chromatisme expressif à un rappel de A dans le ton de la sous-dominante.
A- Le thème est repris au ténor puis au soprano. La pièce s'achève sur l'accord de tonique appoggiaturé.

 

Poème n°24 : Effet de Nuit sur la Seine

Dédié " à M. Édouard Risler ", ce pianiste qui fit tant pour l'œuvre de son camarade Reynaldo, ce poème nocturne dégage un parfum nettement impressionniste.
L'intérêt de cette pièce, de forme ABA, dépasse de loin celui des deux nocturnes que nous proposait la "série orientale" du " Rossignol éperdu " (n°33 et n°34).  
A- Deux mesures installent la formule d'accompagnement qui servira de fond sonore à toute cette première section: un balancement calme et sombre à la fois brode à contre-temps l'accord de tonique sur pédale. L'indication "avec beaucoup de pédale" renforce l'atmosphère pesante et morbide qui entoure la promenade du noctambule sur les berges désertes du fleuve. Le thème, en valeurs longues, entre à la troisième mesure; il est ascendant par paliers successifs dans un ambitus restreint (quinte) et une rythmique obsédante de trochée (A1)  
     

     

Le conséquent A2, plus modulant et dans une courbe descendante régulière, est superposée à une basse mouvante. A1 est repris en octaves.
B- Cette section centrale, tout comme A, comprend deux éléments distincts:
B1 est simplement formé de gammes chromatiques ascendantes dans le registre grave du clavier. B2 reprend la cellule rythmique de A1 sur une courbe mélodique tournant de façon insistante autour d'elle-même. Ces deux éléments alternent.
A- Le retour abrégé de la première partie n'apporte pas de modification.

Poème n°25 : Per i piccoli canali (Venise)

Ce poème, le plus développé du recueil, est dédié à Ignace Paderewski. Dans le chapitre de son journal intitulé " Venise ", Reynaldo rapporte les circonstances tout à fait particulières qui ont entouré une soirée musicale dont il fut le principal acteur:
"Mme de Béarn m'avait demandé de chanter seul avec un piano dans les "piccoli canali". Quelques gondoles seulement: la Comtesse, les Régnier, Abel Bonnard, quelques amis prévenus en hâte. Dans une barque illuminée, j'étais seul avec le piano et deux rameurs. Les gondoles se sont groupées autour de moi; nous nous sommes installés à un carrefour où débouchaient trois canaux, au-dessous de trois ponts d'une coupe charmante. J'ai chanté de tout, depuis des chansons du seizième siècle jusqu'à des chansons de café-concert en passant par Lulli, Bach, Gounod, Schumann, Brahms, Saint-Saëns et bien d'autres encore. Peu à peu des passants se sont rassemblés, garnissant les balustrades des ponts; un public plébéien s'est formé compact, attentif. Les chansons vénitiennes ont fait l'effet dans cette petite foule de cartouches explosives causant une joie, une surprise qui m'ont fait plaisir. "Ancora ! ancora !" criait-on de là-haut..." (9) 
Ces lignes nous renseignent à la fois sur la puissance du charme qui émanait de Reynaldo et de sa voix, et sur l'éclectisme de ses goûts musicaux.

La pièce qui nous intéresse évoque dans une sorte de rondo libre Venise et "ses canaux noirs comme des cavernes et solitaires, où, dit Reynaldo, au rythme de l'aviron, me viennent des motifs de barcarolle triste auxquels bientôt se mêlent une ébauche de chant d'amour." (10)
Le rythme de barcarolle, générateur de toute la pièce, s'installe dès la première mesure sur une double pédale de tonique et dominante.
Le thème principal, A, est exposé en deux périodes de quatre mesures: l'antécédent a1 déploie une large mélodie, entièrement syncopée, qui donne la prédominance aux intervalles expressifs de sixte mineure

  

    

le conséquent a2 est caractérisé par un saut de neuvième à la saveur étrange et par une rythmique insistante de trochée

Le refrain s'achève par l'énoncé d'un motif secondaire a3 au chromatisme délicat et à la rythmique souple.


Le premier couplet, B. expose le chant d'amour dont parle Reynaldo dans les lignes citées plus haut. Ce thème en Si divise la mesure à 6/8 en une mesure à 2/4 selon un procédé rencontré dans d'autres œuvres; le motif mélodique, "chanté, amoureux et sombre" est confié à la main gauche sur un accompagnement en accords brisés à la main droite 

 

  

Le refrain qui suit utilise les trois motifs de A en les développant.

Le deuxième couplet, C, expose un thème tourmenté et sombre: dans le registre grave du clavier et sur pédale une formule mélodique d'une mesure à la rythmique insistante et au chromatisme douloureux est répétée dans un mouvement ascendant amplificateur.
Le dernier refrain, largement développé, réutilise tous les éléments thématiques de la pièce; la coda, ramenant l'atmosphère "silencieuse" du début, achève le poème par un bref et nostalgique rappel de A.

Poème n°26 : Mirage (Hambourg, Avril 1907)



Ce poème nous présente un nouvel aspect de Hambourg, la "Venise du Nord", où habitaient deux des sœurs de Reynaldo : Isabel et Elena. Il "associe l'ambiance particulière du nord hanséatique à la réminiscence d'un refrain entendu jadis sur le  "Canale Grande". Souvenir et impressions du jour se mêlent, sans que Reynaldo ait toujours conscience de ce qui l'emporte dans son cœur de poète - du rêve ou de la réalité, si tant est que l'on puisse discerner l'un de l'autre." (11)                          
Sur un accompagnement balancé (avec double-pédale de tonique et dominante) s'installe un thème et nostalgique et  lancinant

  

       

La section centrale consiste en un développement modulant et rythmique de la cellule initiale.
Dans la reprise de A apparaît  dans le registre de ténor, le motif "d'un refrain entendu souvent à  Venise et suggéré par des similitudes pittoresques" (cette note figure sur la partition).

 

Poème n°27 : La Danse de l'Amour et du Danger

                "Ces deux enfants divins, le désir et la  mort" (Heredia)
Cette pièce fut inspirée à Reynaldo par "un petit tableau de Steinlen représentant un couple faubourien, jeune ouvrier maigre à la figure un peu flétrie, jeune fille blonde qui ne mange pas tous les jours, mais exquise sous sa pauvre robe; ils s'embrassent éperdument dans un coin de rue à peine éclairée, avec toute l'insouciance du désir toute l'imprévoyance d'une jeune sensualité aveugle; et on les sent déjà menacés par la vie." (12) 
Un thème sombre et passionné à la rythmique ternaire (12/8) est l'élément générateur de cette pièce au caractère nettement improvisé

   

  

L'harmonisation (en accords ou en arpèges) est riche et mouvante, les modulations originales.
La partie centrale de la pièce développe tantôt l'antécédent tantôt le conséquent du thème.
Il faut remarquer dans la dernière page une transition d'une grande densité polyphonique sous forme de double-canon.

 

Poème n°28 : Matinée parisienne

Totalement opposée aux sombres échos de la pièce précédente, voici un poème dont le charme mélodique renoue avec la grâce des œuvres de la première période sans pour autant abandonner les raffinements d'écriture et les subtilités harmoniques qui sont venus enrichir le langage du musicien.
Un matériel thématique abondant, une grande liberté de tempi et des changements brusques d'atmosphère dans une forme ABA très élargie au caractère apparemment improvisé, évoquent les nombreuses péripéties qui viennent émailler une "matinée parisienne ".
A- Le premier motif a1 dans des carrures régulières de huit mesures présente une mélodie calme évoluant dans un ambitus large et délicatement superposé à un contre-chant du ténor. Le motif suivant, a2, consiste en 1a répétition d'une cellule d'une mesure sous une harmonisation toujours différente en accords brisés puis en arpèges
   

    
Le motif a1 est repris sans modification en huit mesures.
B- Cette partie centrale, largement développée, présente trois motifs mélodiques qui alternent:
b1- Ces quatre mesures "comme siffloté, rêveusement" utilisent le registre aigu du clavier sur une pédale de dominante syncopée.
b2- Motif plus animé et sombre dialogue entre les deux mains sur un accompagnement d'arpèges.
b3- est un motif tranquille en Fa, sur pédale de dominante.
Une transition modulante de huit mesures au caractère improvisé superpose à une ligne mélodique en valeurs longues des accords brisés alternant entre les deux mains
    
  
A- Pour respecter la symétrie de la pièce c'est a2 qui est tout d'abord repris, en imitation puis en canon à l'octave. La reprise de a1 développe tout particulièrement le conséquent du thème.
Une brève coda rappelle l'antécédent du motif b3.  

 

Poème n°29 : Chérubin tragique (Avril 1910)

         

S'agit-il d'un portrait du jeune héros mozartien ? Nul ne le sait, mais, cette phrase tirée du Journal pourrait incliner à répondre par l'affirmative: "Je suis entièrement pris par Mozart je ne vis qu'en lui depuis un mois. Don Juan, Les Noces, Cosi fan tutte, voilà ma nourriture quotidienne." (2)
Cette pièce agitée et passionnée juxtapose sans cesse deux idées thématiques dont la rythmique rappelle la seconde pièce du recueil "Andromède résignée".
Une écriture pianistique fiévreuse mêlant arpèges brisés et gammes, de brusques modulations opposant des tonalités éloignées, une rythmique pointée convulsive, une grande mobilité de tempi et de violents contrastes de nuances donnent à ce poème un caractère fougueux et ardent qu'on n'était pas accoutumé à rencontrer, jusqu'à présent, dans l'œuvre de Reynaldo laquelle évolue plutôt dans une sphère d'images et de sentiments modérés.

Poème n°30 : Les Chênes enlacés (Mai 1910)

     

Dans cette pièce pratiquement contemporaine de la précédente on retrouve la même atmosphère agitée et passionnée, le même caractère d'improvisation et la même écriture pianistique touffue.
Le résultat est cependant moins convaincant que dans le poème précédent, la vaine complexité de l'écriture semblant cacher, parfois, une inspiration défaillante.
Il faut remarquer une fois de plus que l'art de Reynaldo est moins persuasif dans les pièces largement développées que dans les pièces courtes qui évitent la monotonie des redites. 

 

 

 


(1) Bernard Gavoty : op. cit. p.126

(2) Alfred Cortot: La musique française de piano, tome 1 p.25 - Paris, P.U.F

(3)Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.292

(4) Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.18

(5) Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.80

(6) Bernard Gavoty : op. cit. p.268

(7) Bernard Gavoty : op. cit. p.152

(8) Bernard Gavoty : op. cit. p.152

(9)Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien)  p.191

(10) Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.188

(11) Bernard Gavoty : op. cit. p.269

(12)Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien)  p.283

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